Association des locataires latino-américains de logements sociaux de la région métropolitaine de Toronto

I. À propos des organisations

Je m’appelle Miguel Avila, fier d’être Latino-Canadien et locataire de la Toronto Community Housing Corporation (TCHC). Je m’exprime ici au nom de centaines de membres latino-canadiens de l’« Asociacion de Arrendatarios Latinoamericanos de Vivienda Social del GTA », ce que nous pouvons traduire par l’association des locataires latino-américains de logements sociaux de la région métropolitaine de Toronto, ou A.A.L.V.S. Nous sommes un groupe de de citoyens d’origine latino-américaine travaillant de concert afin de trouver des solutions communes à des problèmes communs. Notre groupe représente le secteur des coopératives, du logement à but non lucratif et des locataires de la T.C.H.C.

II. Le rôle du gouvernement fédéral dans la lutte contre la pauvreté dans les collectivités à caractéristiques raciales et autres groupes défavorisés

Comme en témoigne la documentation  de plus en plus exhaustive et irréfutable, l’écart entre les riches et les pauvres en Ontario et au Canada devient de plus en plus marqué, mais ce que l’on sait moins, c’est que les conséquences de cet écart croissant sont ressenties beaucoup plus profondément par les membres des groupes à caractéristiques raciales (c.-à-d. Autochtones et Premières nations et membres des collectivités de couleur).

La documentation ne fait que trop clairement ressortir les nombreux désavantages institutionnels, structuraux et systémiques de nature raciale qui sont le lot des « premiers arrivants du Canada » (Premières nations, Inuits et Métis) – et puisque nous sommes conscients des réalités et des expériences de ces « premiers arrivants », nous nous sentons pleinement solidaires des efforts de défense dont ils ont pris l’initiative afin de corriger l’exclusion fondée sur des caractéristiques raciales. Nous croyons fermement à l’existence d’une multitude de liens entre ces luttes et celles d’autres groupes caractérisés sur le plan racial - les gens de couleur - en Ontario et au Canada. Toutefois, compte tenu de ce qui précède, nous pressons vivement notre gouvernement fédéral d’honorer ses (et nos) obligations en vertu des traités en reconnaissant et en respectant pleinement les revendications des Premières nations à l’autodétermination et, à cet égard, nous reconnaissons également que les revendications des Premières nations en matière de justice sont distinctes et exigent un ensemble distinct de stratégies de la part du gouvernement fédéral, des réponses politiques complètes et un réel mouvement vers de véritables arrangements de partage approprié des revenus et de financement équitable pour les premiers arrivants (Premières nations, Inuits et Métis) en raison de leur relation historique particulière avec le Canada.

En ce qui a trait aux gens de couleur (c.-à-d. les minorités visibles), dans un rapport publié récemment, le Wellesley Institute et le Centre canadien de politiques alternatives confirment qu’il existe un « code de couleur » dressant un mur entre les « minorités visibles » et l’emploi sur le marché canadien du travail. D’après les auteurs du rapport, les travailleurs canadiens membres des minorités visibles gagnent 81,4 cents par dollar payé à leurs homologues d’origine caucasienne.

D’après le Recensement de 2006, les chercheurs ont découvert que les gains des nouveaux arrivants membres des minorités visibles ne correspondaient qu’à 68,7 p. 100 de ce que gagnaient leurs homologues blancs. Les auteurs du rapport confirmaient également que ce code de couleur persistait encore pour les Canadiens de deuxième génération comparables par la scolarité et l’âge, même si l’écart a légèrement diminué : les femmes des minorités visibles gagnent 56,5 cents, comparativement à 48,7 cents en 2000 par dollar gagné par les hommes blancs, tandis que les hommes des minorités visibles de la même cohorte affichaient une amélioration de près de sept cents, passant à 75,6 cents.

En 2006, au cours des années grasses, le taux de chômage chez les minorités visibles était de 8,6 p. 100 comparativement à 6,2 p. 100 pour les Canadiens blancs. Facteur encore plus dérageant, les minorités visibles étaient sous-représentées dans l’administration publique, 92 p. 100 des fonctionnaires étant des Blancs.

Le « marquage racial » ou « codage couleur » croissant de tous les grands indicateurs sociaux et économiques est visible non seulement dans la statistique sur le revenu et la richesse, mais également dans n’importe quel des autres facteurs de mesure, par exemple les inégalités concernant l’état de santé et les résultats en matière d’apprentissage scolaire, les taux plus élevés de décrochage ou de « refoulement » chez les apprenants marqués sur le plan racial, l’accès non équitable aux débouchés d’emploi et leur surreprésentation dans les emplois mal rémunérés, instables et de statut inférieur où leurs droits de travailleurs sont souvent mal protégés, voire totalement non protégés, des pourcentages plus élevés de mal logés, de sans-abri, ainsi que la réémergence d’enclaves résidentielles imposées à caractéristiques raciales et le taux croissant d’incidence et de différences ethno-raciales concernant les cibles du travail de la police, car les Autochtones et les hommes et les femmes de couleur sont plus que jamais surreprésentés dans les établissements carcéraux et les prisons du Canada. Tout cela est le produit d’une exclusion sociale et économique de longue date de la « société en général », une exclusion maintenant croissante des groupes « racialisés ».

Compte tenu de ces réalités difficiles, il est impératif que les meneurs politiques de tous les paliers de gouvernement discutent de la réduction, voire de l’élimination de la pauvreté en optant directement pour des actions visant à contrer et à corriger le caractère et l’expérience de la pauvreté de plus en plus « racialisés » et différenciés.

Il est urgent que les Canadiens aient un plan global national de lutte contre la pauvreté, intégrant une large gamme d’initiatives universelles, accompagnées de mesures spécifiques ciblées afin de corriger les diverses sources sous-jacentes ou « déterminantes » de la vulnérabilité exposant les membres des collectivités défavorisées, notamment celles distinguées par la race, à une pauvreté disproportionnée.

Facteur plus important, tout plan national de lutte contre la pauvreté doit expressément énoncer, appliquer, suivre et évaluer l’effet des mesures en matière de changements positifs en matière de lutte contre la pauvreté à caractère racial.

Recommandation 1 : Le gouvernement fédéral doit assumer un rôle de leadership et reconnaître et affronter les barrières systémiques contre l’inclusion, ainsi que l’expérience persistante de la discrimination raciale. Pour y parvenir il doit élaborer et appliquer une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté assortie de mécanismes et d’objectifs ciblés, définis dans le temps et mesurables et adopter des mesures et un cadre des résultats en matière d’équité raciale afin d’évaluer systématiquement ses mesures législatives, politiques, programmes et pratiques, de même que ses décisions annuelles et courantes en matière en matière de budget et d’affectation des ressources.

III. Augmentation de la capacité du gouvernement fédéral de lutter contre la pauvreté

En cette époque d’austérité, les élus de tous les partis politiques et de tous les paliers de gouvernement essaient de convaincre les Canadiens que les gouvernements doivent sortir du domaine qui consiste à gouverner, en raison du « déficit » budgétaire auquel ils font face. Les Canadiens s’entendent raconter encore et encore que la seule façon de contrer ces déficits est de procéder à des coupures dans les services publics et l’aide financière visant les biens publics, qu’il s’agisse de bibliothèques publiques au niveau municipal, de l’aide juridique à l’échelon provincial ou des services de garde d’enfants à l’échelon fédéral. Il en est ainsi, même si les membres du corps politique reconnaissent eux-mêmes que les services en examen aux fins de compressions éventuelles ou d’élimination sont des « services essentiels », dont les Canadiens ont besoin pour leur santé même et leur bien-être et/ou pour favoriser le développement d’une société inclusive et démocratique.

Pourtant, en même temps, tandis que l’on demande aux Canadiens de consentir des sacrifices personnels au nom de la réduction du déficit, les entreprises, les personnes qui détiennent de la richesse et les salariés à revenu élevé ne sont appelés à partager qu’une partie toujours moindre de leur richesse et de leurs bénéfices, par le fait des réductions constantes de l’impôt sur les sociétés et des échappatoires fiscaux d’un système de moins en moins progressif. Ces réductions d’impôt, ou crédits d’impôt, sont directement responsables de la création d’un phénomène impossible à nier et selon lequel « les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres, de plus en plus pauvres ». Pour ne donner qu’une preuve de ces inégalités croissantes, d’après les données du Recensement 2006 publiées par Statistique Canada, entre 1980 et 2005, le gain médian chez les personnes aux revenus les plus élevés a augmenté de plus de 16 p. 100, tandis que ceux qui font partie du cinquième du bas de l’échelle ont vu leur rémunération faire un plongeon de 20 p. 100.

Le coût annuel des réductions de l’impôt sur les sociétés qui sont entrées en vigueur au cours des deux mandats du gouvernement ou qui devraient être appliquées dans l’avenir atteindront 14,2 milliards de dollars au cours de l’exercice 2012-2013. Si cette capacité fiscale était mise à la disposition du gouvernement du Canada, elle aurait un effet considérable en matière de réduction du déficit, en ce qui a trait au soutien aux services publics importants dont tous les Canadiens ont besoin, mais particulièrement ceux de nos voisins et membres de la collectivité qui sont au bas de l’échelle économique.

Le fait que les recettes fiscales ne cessent de diminuer réduit fortement la capacité du gouvernement fédéral de fournir ou de financer des programmes qui sont essentiels à ceux qui font partie des collectivités les plus marginalisées du Canada, des programmes comme celui des logements abordables, un programme national de services de garde d’enfants, les programmes de relèvement des compétences et de sécurité du revenu pour les femmes et les autres collectivités défavorisées, ainsi que des programmes spécifiques visant à favoriser une égalité appréciable, notamment le Programme de contestation judiciaire du Canada et d’autres, ont tous vu leur financement réduit, s’ils n’ont pas en fait été totalement éliminés.

Pour donner un autre exemple de politiques économiques aussi  incohérentes et illogiques, l’Institut Caledon a estimé que le crédit d’impôt pour enfants du Canada pourrait être majoré à 5 000 $ par enfant à un coût annuel de 4 milliards de dollars. Il est évident que les restrictions sur les ressources publiques fédérales attribuables à ces réductions d’impôt irresponsables est de nature idéologique, tant celles déjà appliquées que celles qui le seront, contribuent en fait à toutes fins pratiques au retrait du gouvernement fédéral d’un trop grand nombre de secteurs où les dépenses publiques sont essentielles.

Puisque les collectivités distinctes sur le plan racial en Ontario (comme partout ailleurs au pays) sont considérablement surreprésentées chez les pauvres, il est donc plus probable qu’elles auraient tiré avantage de ces services publics, s’ils avaient été adéquatement financés. De la sorte, l’obsession des réductions d’impôt, tant de l’impôt sur les sociétés que de l’impôt sur le revenu personnel, a entraîné et continuera d’entraîner des effets négatifs distincts sur ces collectivités toujours plus vulnérables.

En fait, l’an dernier, le gouvernement de l’Écosse a commandé une étude sur l’impact de la réduction des dépenses pour les services publics sur les groupes vulnérables. Le rapport, intitulé « The Equalities Budget Report », a été établi à partir de faits par l’Employment Research Institute de l’Université Napier d’Édinbourg. L’objectif global était de mener une analyse et d’établir un résumé de données factuelles britanniques et internationales sur les conséquences de la réduction des dépenses sur les groupes visés par les programmes d’égalité des chances (ceux qui, au Canada, pourraient s’appeler les groupes qui ont besoin d’égalité des chances). Les chercheurs ont souligné les preuves de ce qui s’est produit par le passé, mais ils font état estimativement de ce qui pourrait se produire, à l’avenir, en raison de la diminution des dépenses.

Parmi les grandes conclusions du rapport, mentionnons notamment :

·         Les groupes visés par les programmes d’égalité sont particulièrement vulnérables aux compressions des dépenses publiques, car non seulement ils sont bien représentés dans l’effectif des fonctionnaires, mais ce sont des utilisateurs importants des services publics.

·         Les personnes peuvent entrer dans plusieurs groupes visés par les programmes d’égalité, ce qui amplifie donc leur vulnérabilité aux compressions dans les services publics. Des compressions supplémentaires dans un domaine peuvent avoir des répercussions sur d’autres groupes visés par les programmes d’égalité.

·         Les variations importantes au sein des groupes visés par les programmes d’égalité devraient être expressément prises en considération, car certains sous-groupes pourraient être affectés davantage que d’autres (p. ex. les mères, comparativement aux femmes seules, ou certains groupes ethniques comparativement à d’autres, etc.).

·         Certaines personnes sont particulièrement vulnérables à toute compression, étant à la fois fonctionnaires et utilisateurs des services publics.

·         Les effets des réductions des dépenses publiques se feront sentir chez ceux qui travaillent dans les services fournis par les organismes communautaires et ceux qui les utilisent et leurs effets déborderont des limites sectorielles.

Ce qui a été constaté au R.-U. est tout aussi vrai ici au Canada, car diverses mesures d’austérité continuent d’être appliquées et les membres des groupes distincts sur le plan racial et des autres collectivités défavorisées continueront à assumer le plus gros du choc provoqué par les coupures dans les services publics et la capacité fiscale.

Recommandation 2 : Le gouvernement fédéral devrait non seulement revenir sur sa décision concernant certaines réductions d’impôt déjà mises en application, mais en fait, il devrait augmenter l’impôt sur les sociétés et l’impôt personnel pour les tranches de revenu les plus élevées, afin de disposer de plus de recettes pour fournir les services et programmes nécessaires à tous les Canadiens et particulièrement aux personnes qui doivent vivre dans la pauvreté et qui sont déjà défavorisées sur le plan des perspectives de vie et des résultats.

VI. Suivi, mesures, indicateurs et rapports sur la contribution du gouvernement fédéral à la lutte contre la pauvreté

Même si nous constatons de lents changements, sauf dans la ville de Toronto, et compte tenu de l’incohérence considérable dans la prise en compte et la mesure des désavantages structurels et systémiques des premiers arrivants dans certains contextes ainsi que dans certaines provinces et certains territoires, il existe un grave manque d’information et de recherche dans nombre de collectivités locales du pays sur la question de la « racialisation » de la pauvreté.

Ainsi, les initiatives fédérales visant à relever le nombre de participants au Programme de sécurité de la vieillesse (PSV) et au Supplément de revenu garanti (SRG) sont souvent citées comme exemple d’initiatives réussies de lutte contre la pauvreté chez les personnes âgées. Par contre, personne ne sait dans quelle mesure ces programmes ont pu offrir un avantage aux personnes âgées des collectivités distinctes sur le plan racial. Nous ne savons pas, non plus, si les immigrants âgés de certains pays font face à des barrières systémiques en matière d’ accès à ces prestations, pas plus que nous ne savons si les membres de ces collectivités distinctes sur le plan racial ont connu en raison de cela une amélioration de leurs conditions de vie.

Plus particulièrement, du fait du manque de données désagrégées, le gouvernement fédéral ne sait pas clairement qui sont en fait les pauvres et comment ils sont touchés par les politiques et programmes du gouvernement. Sans ces données, le gouvernement n’est pas plus capable de calculer le coût « implicite » de ne rien faire, du point de vue tant économique que social.

De la sorte, l’association des locataires latino-américains voudrait formuler à l’intention du Comité permanent la recommandation suivante :

Recommandation 3 : Le gouvernement fédéral devrait faire la collecte et le suivi de données désagrégées dans l’ensemble des ministères et organismes, ainsi que des institutions pertinentes, de façon à préciser les désavantages structurels et systémiques, notamment ceux à caractère racial. En ce qui a trait à la pauvreté, nous devons élaborer et utiliser des définitions et des indicateurs clairs et communs, de façon à obtenir une image complète et savoir qui sont les pauvres dans ce pays, tout en dégageant les buts, les repères et les indicateurs spécifiques intersectoriels, et vérifier les différences liées au marché du travail spécifiquement et les progrès de toute initiative découlant du plan de réduction de la pauvreté en ce qu’il touche les initiatives des collectivités et groupes historiquement défavorisés et marginalisés, notamment ceux distingués sur le plan racial.

V. Conclusion

Les Canadiens s’attendent à ce que leurs gouvernements jouent un rôle de premier plan dans l’établissement d’un filet de sécurité pour tous les Canadiens, particulièrement ceux qui ont besoin d’aide. Les Canadiens croient en l’équité et ils partagent le même sentiment collectif de responsabilité les uns envers les autres dans une société démocratique : une responsabilité fondée sur des principes comme l’égalité, le respect de la diversité et des droits de la personne. Les Canadiens soucieux d’un esprit d’équité le savent que les droits sont assortis de responsabilités et acceptent ce principe. Dans le cadre de ces responsabilités, les Canadiens veulent respecter un système fiscal progressif et y cotiser, un système qui tient compte de la capacité des personnes et des familles de payer l’impôt, tout en imposant aux entreprises une obligation justement pondérée en matière de partage des bénéfices.

En ne se concentrant que sur des mesures de réduction des dépenses, dans les présentes consultations budgétaires, sans chercher à obtenir d’intrant sur les moyens appropriés d’améliorer les régimes fiscaux qui prévalent, le gouvernement fédéral se coupe d’un éclairage qui lui permettrait de savoir comment faire preuve de plus d’originalité dans l’obtention de recettes. En fait, nous perdons une excellente occasion de rappeler aux Canadiens l’importance des biens publics comme pierres angulaires d’une société inclusive et du rôle des gouvernements dans la prestation des services publics afin que tous les Canadiens, peu importe qui ils sont et quel que soit leur revenu, disposent d’un niveau de vie décent et de chances égales de réussir.